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WINTERREISE
Voyage d'hiver
CD Hybrid'Music H1815 Mario Hacquard, baryton – Georges Dumé, piano
1. Bonne nuit
Étranger, je suis venu,
Étranger, je repars,
Le mois de mai m'accueillait
Avec maints bouquets de fleurs.
La jeune fille parlait d'amour,
Sa mère, même de mariage,
Maintenant le monde est sombre,
Le chemin enfoui sous la neige.
Je ne puis plus décider
Du moment de mes voyages :
Il me faut seul trouver ma voie
Dans cette obscurité.
L'ombre de la lune
Est mon compagnon de route,
Et dans les blanches prairies
Je cherche la trace du gibier.
Pourquoi m'attarder encore
Jusqu'à ce que l'on me chasse?
Laisse les chiens fous hurler
Devant la maison de leur maître !
L'amour aime l'errance,
Dieu l'a ainsi fait,
Il passe de l'un à l'autre,
Douce bien-aimée, bonne nuit!
Je ne veux pas troubler ton rêve,
Ce serait dommage pour ton repos ;
Tu ne dois pas entendre mes pas,
Doucement, doucement je ferme la porte !
J'écris en partant, pour toi,
Sur le porche : "Bonne nuit!"
Afin que tu puisses voir
Que j'ai pensé à toi.
2. La Girouette
Le vent joue avec la girouette
Sur la maison de ma bien-aimée :
Je songeais alors dans ma folie
Qu'elle se moquait du pauvre fugitif.
Il aurait dû remarquer plus tôt
L'enseigne fixée sur la maison :
Ainsi n'aurait-il plus cherché dans la maison
L'image fidèle d'une femme.
Le vent y joue avec les cœurs
Comme sur le toit mais plus doucement.
Que leur importent mes peines ?
Leur fille est un bon parti.
3. Larmes gelées
Des larmes gelées tombent
De mes joues :
Aurais-je donc ignoré
Que j'ai pleuré ?
Ah! larmes, mes larmes,
Seriez-vous si tièdes
Que vous vous figiez en glace
Comme la fraîche rosée du matin ?
Pourtant vous jaillissez
Si brûlantes de ma poitrine,
Comme si vous vouliez faire fondre
Toute la glace de l'hiver !
4. Engourdissement
Je cherche vainement dans la neige
La trace de mes pas
Là où, à mon bras,
Elle parcourut la verte campagne.
Je veux baiser le sol,
Transpercer glace et neige
De mes larmes brûlantes
Jusqu'à voir la terre.
Où trouverai-je quelque floraison,
Où trouverai-je de l'herbe verte ?
Les fleurs sont mortes,
L'herbe est toute jaunie.
N'est-il aucun souvenir
Que je puisse emporter d'ici ?
Quand mes souffrances se tairont
Qui donc me parlera d'elle ?
Mon cœur est comme gelé.
Son image y est figée :
Mais si mon cœur fond
Son image s'en échappera.
5. Le Tilleul
Près du puits, devant le porche,
S'élève un tilleul ;
J'ai fait sous son ombrage
Tant de doux rêves.
J'ai gravé dans son écorce
Tant de mots d'amour ;
La joie comme la peine
Vers lui, toujours, m'attiraient.
Aujourd'hui encore j'ai dû partir au loin
Dans la nuit profonde ;
Alors dans l'obscurité,
J'ai de nouveau fermé les yeux.
Et ses rameaux bruissaient
Comme pour m'appeler :
Viens donc à moi, compagnon,
Ici, tu trouveras le repos !
Les vents glacés soufflaient
Dru sur mon visage,
Mon chapeau s'envola de ma tête,
Je ne me retournai pas.
Maintenant je suis à plusieurs heures
De ce lieu
Et toujours j'entends ce bruissement :
Ici tu trouverais le repos.
6. Dégel
Mainte larme de mes yeux
Est tombée dans la neige :
Ses flocons glacés boivent
Avidement ma peine ardente.
Quand les herbes veulent pousser
Souffle, ici, un vent doux
Et la glace éclate en morceaux
Et la neige amollie s'écoule.
Neige, tu connais mon ardent désir :
Dis-moi, où va ton cours ?
Suis donc mes larmes,
Bientôt c'est le ruisseau qui te recevra.
Avec lui tu traverseras la ville
A travers ses rues animées ;
Quand tu sentiras mes larmes s'embraser
Ce sera devant la maison de ma bien-aimée.
7. Sur le fleuve
Toi qui bruissais si joyeux
Toi, fleuve limpide et impétueux,
Comme tu es devenu calme,
Tu ne me donnes pas un signe d'adieu.
D'une croûte dure et glacée
Tu t'es recouvert,
Tu reposes froid et immobile
Etendu sur le sable.
J'ai gravé dans ton manteau
Avec un caillou pointu
Le nom de ma bien-aimée
Ainsi que l'heure et le jour.
Le jour de la première rencontre,
Le jour de mon départ ;
Autour du nom et des dates
S'enroule un anneau brisé.
Mon cœur, dans ce ruisseau,
Reconnais-tu ton image ?
Sous sa croûte de glace,
Le bouillonnement est-il toujours violent ?
8. Regard en arrière
Mes pieds me brûlent
Alors que déjà je foule neige et glace.
Je ne voudrais pas reprendre haleine
Tant que j'ai les tours en vue.
Je me suis heurté à chaque pierre
Tant j'étais pressé de quitter la ville :
Les corneilles jetaient des boules de neige
Sur mon chapeau, de chaque maison.
Comme tu m'as accueilli différemment,
Toi, ville de l'inconstance !
A tes fenêtres étincelantes
L'alouette et le rossignol chantaient.
Les gros tilleuls étaient en fleurs,
Les ruisseaux gazouillaient gaiement.
Hélas, deux yeux de jeune fille brillaient !
C'en était fait de toi, mon garçon !
Quand ce jour revient à ma mémoire,
Je voudrais pouvoir regarder en arrière,
Je voudrais revenir, chancelant,
Me trouver, silencieux, devant sa maison.
9. Feu follet
Dans les profondes gorges rocheuses
Un feu follet m'attirait ;
Trouver une issue
N'était pas pour moi difficile.
Je suis habitué à errer,
Tous les chemins mènent au but :
Nos joies, nos peines,
Tout n'est qu'un jeu de feu follet!
Par le lit à sec du torrent
Je me faufile calmement jusqu'en bas :
Tout fleuve gagne la mer
Et toute peine son tombeau.
10. Pause
Je ne sens combien je suis fatigué
Que lorsqu'enfin je trouve le repos ;
Le voyage me maintenait en alerte
Sur le chemin inhospitalier.
Mes pieds ne demandaient pas de halte,
Il faisait trop froid pour s'arrêter,
Le dos ne sentait pas la charge,
La tempête me poussait plus loin.
Dans l'étroite hutte d'un charbonnier
J'ai trouvé un abri :
Mais mes membres ne trouvent pas le repos
Tant leurs blessures me torturent.
Toi aussi, mon cœur, dans le combat et la tempête,
Si sauvage et si téméraire,
Tu sens, dans le calme, ton dragon
Renaître en élans lancinants.
11. Rêve de printemps
Je rêvais de fleurs de toutes couleurs
Ainsi qu'elles éclosent en mai ;
Je rêvais de vertes prairies,
De joyeux chants d'oiseaux,
Et lorsque les coqs chantèrent
Mes yeux s'ouvrirent :
Il faisait froid et sombre,
Les corbeaux croassaient sur le toit.
Mais pourtant sur les vitres,
Qui a dessiné ces feuillages ?
Vous riez du rêveur
Qui voyait des fleurs en hiver ?
Je rêvais d'aimer et d'être aimé,
D'une belle jeune fille,
De caresses et de baisers
De ravissement et de félicité
Et lorsque les coqs chantèrent,
Mon cœur s'est éveillé :
Je suis seul ici-bas
Et poursuis mon rêve.
Je referme les yeux
Mon cœur bat si fort.
Quand verdiront les feuilles à la fenêtre ?
Quand embrasserai-je ma bien-aimée ?
12. Solitude
Comme un sombre nuage
S'enfuit dans l'air lumineux
Quand la cime du sapin
Souffle un vent léger :
Ainsi je vais mon chemin,
Allant d'un pas pesant
Par la vie claire et joyeuse,
Seul et sans espoir.
Ah! que l'air est calme !
Ah! que le monde est beau !
Quand les tempêtes grondaient
J'étais moins malheureux.
13. Le Courrier
Dans la rue, j'entends le cor du postillon ;
Pourquoi bats-tu si fort,
Mon cœur ?
Le courrier ne t'apporte pas une lettre,
Pourquoi t'inquiéter si étrangement,
Mon cœur ?
Oui, le courrier vient de la ville
Où j'avais une bien-aimée,
Mon cœur !
Tu voudrais jeter un regard là-bas
Et demander comment elle va,
Mon cœur ?
14. La Tête chenue
Le frimas a saupoudré un reflet blanc
Sur ma chevelure.
Je croyais déjà être un vieillard
Et m'en suis réjoui.
Mais tout a bientôt fondu,
J'ai de nouveau des cheveux noirs.
J'ai horreur de ma jeunesse,
Quel long chemin jusqu'au tombeau !
Du crépuscule à l'aube,
Mainte tête devient chenue.
Qui le croirait ? Et la mienne ne le devint pas
Durant tout ce voyage !
15. La Corneille
Avec moi, une corneille
Avait quitté la ville.
Elle a sans cesse volé
Autour de ma tête.
Corneille, étrange animal,
Ne veux-tu pas me quitter ?
Espères-tu donc comme une proie
Te jeter bientôt sur mon corps ?
Allons, je n'en ai plus pour longtemps
Avec mon bâton de pèlerin.
Corneille, montre-moi enfin
La fidélité jusqu'au tombeau !
16. Dernier espoir
Ca et là, sur les arbres,
On peut voir mainte feuille multicolore
Et je demeure devant les arbres
Plongé souvent dans mes pensées.
Je contemple une feuille
Et y attache tout mon espoir ;
Que le vent joue avec ma feuille
Et je tremble tant qu'il se peut.
Ah! et si la feuille tombe au sol,
Avec elle s'effondre mon espoir ;
Je tombe alors moi-même par terre
Et pleure sur la tombe de mon espoir.
17. Au village
Les chiens aboient, les chaînes cliquettent ;
Les gens dorment sur leur couche,
Beaucoup rêvent à ce qu'ils n'ont pas,
Ils se complaisent dans le bien et dans le mal :
Et demain tout sera oublié !
Ils ont profité de leur part
Et espèrent que ce qu'ils ont laissé,
Ils le retrouveront sur leurs oreillers.
Aboyez encore, chiens à l'affût,
Refusez-moi le repos à l'heure du sommeil !
J'en ai fini avec tous les rêves,
Qu'ai-je à m'attarder parmi les dormeurs ?
18. Matinée de tempête
Comme la tempête a déchiré
Le gris manteau du ciel !
Les lambeaux de nuages flottent alentour
En une lutte sans ardeur.
Des flammes rougeoyantes
S'échappent d'entre eux
Voilà ce que j'appelle une matinée
Tout à fait à mon goût !
Mon cœur reconnaît dans le ciel
Sa propre image ;
Ce n'est que l'hiver,
L'hiver glacial et sauvage !
19. Illusion
Une lumière danse gaiement devant moi,
Je la suis dans sa course en zigzag,
Je la suis volontiers tout en m'apercevant
Qu'elle leurre le voyageur errant.
Ah! celui qui comme moi est misérable
Se livre volontiers à cet artifice multicolore
Qui, dans le froid, la nuit et l'horreur
Lui montre une maison chaude et claire
Et une âme accueillante ;
Mais seule l'illusion est mon gain !
20. Le Poteau indicateur
Pourquoi éviter les chemins
Qu'empruntent les autres voyageurs,
Rechercher les sentiers écartés
Parmi les falaises enneigées ?
Je n'ai pourtant rien commis
Qui me fasse craindre les hommes ;
Quel besoin insensé
Me pousse dans ces régions désolées ?
Des poteaux se dressent sur les chemins
Indiquant la direction des villes
Et je marche sans répit,
Sans halte, en cherchant le repos.
Je vois un poteau indicateur
Immobile sous mon regard ;
Mais je dois prendre une route,
D'où personne n'est jamais revenu.
21. L'Auberge
Vers un cimetière
Mon chemin m'a conduit.
C'est ici que je veux demeurer ;
Je me suis fait à cette idée.
O vous, vertes couronnes mortuaires,
Vous pourriez bien être le signe
Qui invite le voyageur fourbu
A entrer dans la froide auberge.
Dans cette maison
Les chambres sont-elles toutes occupées ?
Je suis épuisé au point de m'effondrer,
Je suis mortellement blessé.
O impitoyable cabaret,
Tu me refuses cependant ?
Porte-moi donc toujours plus loin,
O mon fidèle bâton de pèlerin !
22. Courage !
Si la neige me cingle le visage
Je la secoue bien.
Quand mon cœur gémit dans ma poitrine,
Je chante clair et haut.
Je n'entends pas ce qu'il dit,
Je n'ai pas d'oreilles,
Je ne sens pas ce dont il se plaint,
Les plaintes sont pour les fous.
Joyeusement je parcours le monde
Contre vents et tempêtes !
S'il n'y a pas de Dieu sur terre,
Soyons nous-mêmes des dieux !
23. Le Parhélie*
J'ai vu trois soleils dans le ciel,
Je les ai longuement contemplés :
Ils demeuraient là sans mouvement
Comme s'ils ne voulaient pas me quitter.
Ah, vous n'êtes pas mes soleils !
Regardez donc les autres en face !
Oui, j'en avais bien trois il y a peu,
Mais les deux meilleurs sont tombés,
Que le troisième tombe à son tour !
Je me sentirai mieux dans l'obscurité.
*Parhélie : phénomène lumineux dû à la réflexion des rayons solaires dans un nuage formé de cristaux de glace.
24. Le Vielleux
Là-bas derrière le village
Est un vielleux,
De ses doigts raidis
Il joue ce qu'il peut.
Pieds nus sur la glace
Il va, chancelant, çà et là,
Et sa petit sébile
Demeure toujours vide.
Nul ne veut l'entendre,
Nul ne le regarde
Et les chiens grondent
Autour du vieil homme ;
Et il laisse tout aller
Au gré des choses.
Il joue, et sa vielle
Jamais ne se tait.
Étrange vieillard !
Dois-je te suivre ?
Veux-tu faire tourner ta vielle
Pour mes chants ?